Les archivistes manitobains qui prennent soin de centaines de milliers d’artéfacts de La Baie d’Hudson espèrent que le bien le plus précieux de la compagnie finira entre les mains du secteur public et qu’ils trouveront peut-être la place idéale pour ce trésor.
Ceux qui s’occupent des collections que La Baie d’Hudson a données en 1994 à leurs employeurs — le Musée du Manitoba et les Archives du Manitoba — affirment que la charte de 1670, qui a donné naissance à la plus ancienne compagnie du Canada, serait à sa place parmi leurs autres artéfacts.
«Nous savons exactement quelle est sa place dans notre système», explique Kathleen Epp, conservatrice des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson de la province.
La collection provinciale comprend des documents tels que des cartes datant de 1709, des vidéos, des enregistrements audio et tellement de journaux personnels, de lettres et de notes de recherche que les documents textuels à eux seuls occupent plus de 1 500 mètres linéaires d’espace de rayonnage.
«Nous considérons déjà la charte comme faisant partie de nos archives, d’une certaine manière, car (…) nous connaissons le reste de l’histoire et nous pensons donc qu’il est logique qu’elle soit ici, et qu'elle soit aussi accessible au public que n’importe quel autre document», ajoute Mme Epp.
Les discussions sur le sort éventuel de la charte royale signée par le roi Charles II s’intensifient depuis que La Baie d’Hudson s’est placée sous la protection de ses créanciers le mois dernier, déclarant que les effets de la pandémie de COVID-19, l’intensification de la guerre commerciale et la baisse de l’achalandage dans les centres-villes rendaient le paiement de ses factures trop difficile.
Dans un contexte de liquidations de magasins et de recherche d’acheteurs pour l’entreprise et ses actifs, l’entreprise a annoncé son intention de mettre aux enchères ses 1700 œuvres d’art, 2700 artéfacts et la charte vieille de 355 ans.
Ce projet s’est heurté à l’opposition d’historiens, d’archivistes et de groupes autochtones, qui craignent que des objets inestimables ne soient pas présentés au public.
Mais la vente aux enchères organisée par la Maison Heffel permet de retirer des objets du processus s’il s’avère qu’ils appartiennent à d’autres personnes ou qu’ils ont une importance historique ou culturelle, les rendant ainsi inappropriés à la vente.
Cette disposition laisse entrevoir un retour possible de la charte ou d’autres objets au Manitoba, où La Baie d’Hudson a déménagé son siège social après son départ d’Angleterre.
«C’est un document fondateur tellement important. Je ne pense pas qu’il appartienne à des intérêts privés», explique Mme Epp.
«Il devrait être accessible au public. Ce serait dommage qu’il ne soit pas préservé de cette façon.»
Une collection vivante
Amelia Fay, conservatrice de la collection muséale de La Baie d’Hudson au Musée du Manitoba, partage cet avis.
«Notre objectif ultime est de garantir l’accès du public à ces objets, indique-t-elle. C’est une histoire partagée par tous les Canadiens et les gens d'ailleurs.»Â
Lorsqu’on lui a demandé si son musée souhaitait des artéfacts de La Baie ou la charte présentée lors d’une exposition en 2020, elle a répondu: «Je ne peux pas vraiment me prononcer là -dessus pour le moment, mais c’est une chose que nous étudions toujours.»
«La collection ne stagne pas», affirme-t-elle à propos des 27 000 objets qu’elle préside.
«Même si elle nous est parvenue sous forme d’entité dans les années 1990, elle n’a cessé de croître depuis et nous acceptons toujours les dons de descendants de commerçants de fourrures et d’autres personnes ayant des liens avec la compagnie. Nous sommes toujours ouverts à l’idée d’enrichir la collection de pièces historiques particulièrement importantes, notamment celles qui sont importantes pour les Manitobains.»
Acquérir un objet comme la charte royale, qui, en plus de créer la compagnie, a également permis à La Baie d’Hudson de régner sur une grande partie du Canada et de façonner l’économie du pays pendant des décennies, n’est pas chose aisée pour un musée.
Les experts s’attendent à ce que la charte rapporte une fortune et l’aide des donateurs est nécessaire pour que toute institution puisse l’acquérir.Â
Le premier ministre du Manitoba, Wab Kinew, a déclaré qu’il n’excluait pas l’implication de la province, mais qu’il espérait que l’entreprise rende ses œuvres publiques.
«Pourquoi ne s’assurent-ils pas simplement que ces objets importants pour le peuple canadien, pour l’histoire canadienne, pour les Premières Nations, les peuples autochtones (…) tombent entre les mains du public?», a-t-il mentionné vendredi.
Le Conseil autochtone de l’Association des musées canadiens a envoyé une lettre à La Baie d’Hudson soulignant l’importance d’envisager la vente de sa collection en conformité avec les droits et les obligations des Autochtones en vertu des traités, de la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones et des lois canadiennes pertinentes.
La lettre souligne également qu’il a l’occasion de s’engager dans un puissant acte de renforcement des relations et de réconciliation.
La porte-parole du groupe, Rebecca MacKenzie, indique que l’organisation continue de recueillir des informations dans ce qu’elle appelle une «situation en évolution».
Asad Moten, avocat représentant le procureur général du Canada et plusieurs autres organismes fédéraux, a déclaré à un tribunal que le pays pourrait souhaiter acquérir certains objets de la collection, voire à s’assurer que leur importance culturelle ne soit pas diminuée et qu’ils ne soient pas «désagrégés».Â
Premièrement, il affirme que le pays doit savoir ce que La Baie d’Hudson a mis de côté. Bien que la collection n’ait pas encore été dévoilée, une source familière avec le processus de vente aux enchères, mais non autorisée à s’exprimer publiquement, a précisé à La Presse Canadienne que les objets proposés à la vente aux enchères comprenaient des peintures datant de 1650, des couvertures à points, des documents papier et même des poupées Barbie de collection.
Pour se faire une idée de la valeur des biens de La Baie d’Hudson, il suffit d’observer l’utilisation des dons antérieurs. Les universitaires se tournent donc vers la collection du Musée du Manitoba pour leurs recherches.
Des intérêts multiples
Mme Fay affirme avoir constaté un regain d’intérêt pour les perles et les piquants de porc-épic des Premières Nations et des Métis, de la part d’artistes qui s’inspirent des objets fabriqués par leurs ancêtres.
Mme Epp a vu des documents de La Baie d’Hudson utilisés pour étudier les changements climatiques, car les postes de traite enregistraient souvent les conditions météorologiques.
Certains documents d’archives ont également permis de renforcer les revendications territoriales ou de retracer la généalogie.
Les dirigeants de La Baie d’Hudson qui ont créé les documents il y a des siècles «ne pensaient pas que les gens pourraient s’intéresser à l’évolution du nom autochtone original de cette famille au fil du temps, ce que nous pouvons démontrer grâce aux documents, mais ce n’est pas pour cette raison qu’ils les ont conservés», explique Mme Epp.
«Ils les conservaient pour suivre leurs clients, ce qui explique la richesse des renseignements qu’ils ont fournis, et ils sont utilisés de multiples façons.»